La tension ne retombe pas entre Madrid et la Catalogne. Le gouvernement espagnol défend absolument l’unité nationale, tandis que Puigdemont est prêt à tout pour déclarer l’indépendance. Mais quelle est la place de l’élément émotionnel dans le conflit ?
Le problème catalan vient de très loin, et comme dans tous les conflits, ce que l’on voit n’est souvent que la partie émergée de l’iceberg. Au-dessous de l’aspect visible montré par la classe politique et les médias, se cache un cocktail d’émotions, de rancunes et de jugements, qui contribue à radicaliser de plus en plus la situation. Manque de dialogue, intolérance, intransigeance … les gouvernements à qui il incombe de trouver une solution avancent dans des directions opposées, vers le même abîme.
Comme dans les cas de divorce, où les couples sont noyés dans l’émotionnel (et ne sont souvent même pas capables d’expliquer vraiment les raisons de leur séparation), le problème catalan reste figé dans l’irrationnel et dans la détermination absolue des parties à voir aboutir leur objectif respectif. Une majorité d’espagnols, qu’ils soient partisans ou non de réaliser un référendum légal pour décider de l’indépendance de la Catalogne, est souvent incapable de fournir des arguments rationnels et factuels à leur position. Cela est dû au fait que, comme dans 90% des cas, l’origine du conflit est un élément émotionnel.
Un peu d’histoire pour essayer de comprendre la situation
Au Moyen Âge, au début du 12e siècle, la Catalogne était sous l’influence des comtes de Barcelona, le comte ayant épousé la reine d’Aragon. De cette union naquit la couronne d’Aragon (laquelle finira par s’unir avec la couronne de Castilla, créant à peu près l’Espagne actuelle). Pendant tout ce temps, le latin parlé en Catalogne a évolué vers une nouvelle langue, le catalan, et ses institutions et lois propres furent créées.
Le Moyen Âge est une époque confuse pour la péninsule ibérique : guerres, divergences dynastiques, et familles royales se succèdent les unes derrière les autres. C’est justement un ascendant de l’actuel roi d’Espagne, Philippe V, qui devint roi après une guerre de sécession contre Charles III. A ce moment, il obtient l’appui de la couronne d’Aragon (et par conséquent de celle de la Catalogne). Après cette victoire, Philippe V punit le peuple catalan en raison de son opposition pendant la guerre : le nouveau roi ordonne l’abolition des institutions et des lois catalanes, et interdit l’usage de leur drapeau.
Malgré cette prohibition, le catalan continue à être utilisé et une conscience nationale ne cesse de grandir jusqu’en 1934, avec la proclamation de la République catalane. Deux ans après, c’est la guerre civile, et la Catalogne (bastion ouvrier et révolutionnaire) en paie le prix. Avec Franco au pouvoir, la région est gravement attaquée pour sa singularité culturelle : le catalan est à nouveau interdit, les institutions abolies, et les politiciens et intellectuels jetés en prison, assassinés ou menés à l’exil.
Après la mort de Franco, une nouvelle constitution est élaborée par l’ensemble des partis politiques, et l’Espagne est divisée en 17 régions. La Catalogne réussit à regagner un peu de son indépendance politique, mais pas économique. Le sentiment de donner plus qu’elle ne reçoit devient de plus et plus grand dans la société catalane.
Au début des années 2000, le gouvernement catalan approuve un changement des lois régionales, pour apporter moins à la trésorerie espagnole et gagner en autonomie. Après de nombreuses tensions politiques, la cour constitutionnelle espagnole interdit cette réforme. Cette interdiction coïncide avec la crise économique qui frappe durement l’Espagne, et de nombreux cas de corruption sont découverts. C’est dans ce climat de difficulté économique et sociale, ainsi qu’un grand sentiment de désenchantement politique, que l’indépendantisme n’apparaît plus comme une utopie, mais comme une réelle opportunité d’envisager l’avenir avec optimisme.
Un manque de dialogue qui gangrène la situation
Après ce bref récit des causes du conflit catalan, nous pouvons observer deux éléments principaux qui se mélangent et se reproduisent tout au long de l’histoire. En premier lieu l’émotion : le fait d’exalter des sentiments au lieu de produire des arguments valables, ainsi que l’utilisation de concepts chargés en émotion comme, la rébellion, la démocratie ou la désobéissance, ne permettent pas d’être factuel et ouvert au dialogue. Ainsi les parties montrent fermeté, incompréhension et manque d’ouverture les unes envers les autres. En deuxième lieu la contrainte : l’action de forcer l’autre à agir contre sa volonté se reproduit sans cesse (interdictions, guerres…). Cela ne crée qu’un débat en noir et blanc, de plus en plus radical, qui impose à tous de se positionner.