Il n’existe pas de définition de harcèlement moral au Grand-Duché du Luxembourg, malgré quelques tentatives législatives qui sont restées lettre morte[1].
La convention du 25 juin 2009 relative au harcèlement et à la violence au travail est actuellement le seul texte existant en la matière et a été conclue entre les syndicats sur base d’un accord-cadre européen sur le harcèlement et la violence au travail signé le 26 avril 2007 par les partenaires sociaux[2].
Dès lors, la construction de la notion de harcèlement moral est avant tout jurisprudentielle. Pour définir cette notion, le juge renvoi à la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ainsi que la convention de 2009 et rappelle que la définition du harcèlement figurant dans la convention est sensiblement identique à la définition donnée par le législateur français. Tout en faisant encore référence à la définition belge du harcèlement moral, les tribunaux retiennent que « le harcèlement dans l’entreprise apparaît comme une conduite fautive répétée dont le caractère vexatoire, humiliant ou attentatoire à la dignité perturbe l’exécution du contrat de travail de la personne qui en est la victime »[3].
En 2014, la Cour supérieure de Justice, dans un arrêt du 13 février 2014 retient que « le harcèlement moral se produit lorsqu’une personne relevant de l’entreprise commet envers un travailleur ou un dirigeant des agissements fautifs, répétés et délibérés qui ont pour objet ou effet : soit de porter atteinte à ses droits ou sa dignité, soit altérer ses conditions de travail ou de compromettre son avenir professionnel en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant, soit d’altérer sa santé physique ou psychique »[4].
La base légale de l’action en dommages et intérêts du salarié qui s’estime victime d’un harcèlement moral repose quant à elle sur l’article 1134 du code civil qui impose l’obligation pour les parties d’exécuter les contrats de bonne foi. Il résulte de ce texte que l’employeur doit assurer à ses salariés des conditions de travail normales de sorte que ce dernier peut être condamné, même s’il n’est pas à l’origine du harcèlement[5].
Néanmoins, la charge de la preuve du harcèlement pèse sur les épaules du salarié[6].
Le mode de preuve utilisé par ses derniers dans ce domaine reste dans la plupart des cas les attestations testimoniales[7], mais il est également possible de demander des enquêtes[8], ou produire des attestations médicales ainsi que toute autre preuve pertinente comme des caméras de surveillance dûment autorisées[9].
La notion de » harcèlement moral » telle que définie par le droit et telle qu’appliquée par le juge, ne semble pas correspondre au ressenti des personnes qui ont le sentiment d’être victimes d’un tel harcèlement.
Maître Lionel Gueth-WolfOutre l’obligation de prouver l’existence du harcèlement, les salariés ont encore l’obligation d’informer leur employeur, avant de saisir la justice, afin que ce dernier ait la possibilité d’y mettre fin[10].
Un nombre de décisions réduit reconnaît le harcèlement moral et condamne l’employeur. En effet, sur 21 décisions recensées entre 2011 et 2016, seules 4 décisions ont condamné l’employeur pour des faits de harcèlement moral. Dès lors entamer une action pour harcèlement moral relève du sacerdoce.
Pourtant, le nombre de consultations auprès de l’Asbl Mobbing[11] a augmenté continuellement entre 2010 et 2015[12] en passant de 351 à 455. Le nombre d’ouvertures de dossier quant à lui a augmenté de 91 en 2010 à 133 en 2015. Le nombre de contacts téléphoniques est toutefois resté assez fluctuant quant à lui puisqu’au nombre de 1 980 en 2010, il atteint son maximum en 2013 pour 2 200 appels, l’année 2012 étant la moins prolifique avec un nombre de contacts s’élevant à 1760.
La notion de harcèlement moral telle que définie par le droit et telle qu’appliquée par le juge, ne semble pas correspondre au ressenti des personnes qui ont le sentiment d’être victimes d’un tel harcèlement. Comment expliquer autrement qu’entre 2011 et 2016, seules 4 décisions ont abouti à une condamnation de l’employeur alors que 9.880 personnes ont contacté Mobbing asbl pour 1 954 consultations sur la même période.
Maître Lionel Gueth-Wolf
Rédacteur
Avocat à la Cour et Médiateur Professionnel, Lionel a ouvert en 2009 l’étude Gueth-Wolf. Membre du barreau de Luxembourg, et membre de l’Association Luxembourgeoise des Médiateurs Agréés.
[1] Proposition de loi n°4979 relative à la protection contre le harcèlement moral à l’occasion des relations du travail et le projet de loi n°5241 modifiant la loi modifiée du 17 juin 1994 concernant la sécurité et la santé des travailleurs au travail.
[2] Ladite convention définit le harcèlement comme suit : le harcèlement moral se produit lorsqu’une personne relevant de l’entreprise commet envers un travailleur ou un dirigeant des agissements fautifs, répétés et délibérés qui ont pour objet ou pour effet : soit de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité ; soit d’altérer ses conditions de travail ou de compromettre son avenir professionnel en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; soit d’altérer sa santé physique ou psychique.
[3] Tribunal du travail d’Esch s/Alzette, 03/02/2012 n°339/2012 ; Tribunal du travail d’Esch s/Alzette, 17/02/2012 n°829/2012.
[4] Cour Supérieure de Justice, 13/02/2017, n°37938.
[5] Tribunal du travail de Luxembourg, 12/02/2004 n°735/05 ;
[6] Cour Supérieure de Justice, 07/02/2013 n°37886, Tribunal du travail d’Esch sur Alzette, 18/05/2012, n°1402/2012
[7] Tribunal du travail d’Esch sur Alzette, 07/02/2013, n°382/13
[8] Tribunal du Travail d’Esch sur Alzette, 18/02/2014, n°498/2014.
[9] Tribunal du Travail d’Esch sur Alzette, 26/02/2014, n°929/14
[10] Cour Supérieure de Justice, 13/02/2014, n°37938
[11] https://www.mobbingasbl.lu/fr/statistiques
[12] 2015 est la dernière année connue
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